Nu couché sur fond vert - Jacques Bablon
Mais où donc va-t-il chercher son inspiration ? Que ce soit dans Trait bleu (http://jackisbackagain.over-blog.com/2015/04/trait-bleu-jacques-bablon.html) ou Rouge écarlate (http://jackisbackagain.over-blog.com/2016/03/rouge-ecarlate-jacques-bablon.html), Jacques Bablon nous racontait déjà deux histoires dingues, insolites et carrément extraordinaires. Extraordinaires mais qui étrangement résonnaient familièrement à nos oreilles en alerte et virevoltaient avec délice devant nos yeux esbaudis. Avec Nu couché sur fond vert, l’auteur nous convie à une nouvelle expérience sensorielle tout bonnement exceptionnelle. A tel point qu’il ne faudra plus attendre longtemps pour voir apparaître dans les dictionnaires les vocables bablonerie (nf) et bablonesque (adj).
Dans ce style et cette verve qui lui sont propres, l’auteur nous immerge dans une histoire qui commence mal et qui se termine…mal, plutôt mal, assez bien ou bien, biffez la mention inutile, c’est selon. Margot Garonne et Romain Delvès sont flics. Dans le même service mais jamais ils n’ont formé équipe. L’ouvrage aurait pu s’intituler Maudites soient les plantes vertes car c’est en combinant leurs efforts pour sauver un ficus en déperdition qu’ils se découvrent une attirance mutuelle ; rien de charnel, une rencontre pas improbable mais dont eux-mêmes auraient du mal à en définir la substance. Faire connaissance n’est pas en soi synonyme de courir à la catastrophe (j’ai vérifié dans le dictionnaire) mais pour ces deux-là, je ne sais pas, les choses ont une tendance spontanée et immédiate à se compliquer.
Margot Garonne est mère de trois filles, trois ados. Iza apprend le hautbois, Clem, l’aînée, s’adonne au plongeon acrobatique et la plus jeune, Adèle, élève des courtilières dans un terrarium. Mais les passions à l’adolescence ne durent pas ou se transforment. Le mari s’est cassé avec une autre. Margot sait de la bouche de Romain qu’il a perdu son père Paul quand il avait six ans, assassiné ; au moment du drame, sa mère Anna les avait déjà quittés pour émigrer au Canada sans plus jamais donner de nouvelles. Elle est en couple avec Lauren, chanteuse de trente printemps, qui fait se déplacer les foules. Le meurtrier n’ayant jamais été identifié, Margot part en croisade. Tout son temps libre, elle le consacre à rouvrir l’enquête, en catimini, à l’insu de sa hiérarchie et sans en parler à Romain. Patience, acharnement, obsession.
Romain, quant à lui, passe une (toute petite) partie du livre dans le coma suite à l’agression dont lui et son coéquipier, Ivo Fonzi ont été victimes. Une embuscade, un piège, un tonneau, voiture sur le toit, cocktail Molotov pour achever le travail, Fonzi y laisse sa peau, Romain s’en sort, pas indemne mais par miracle. Ils ne s’aimaient pas beaucoup, ne s’estimaient pas davantage mais le visage d’Ivo barré de son éternel sourire ne cesse de la hanter. Il refaisait coucou avec son sourire à la con de quand il était plein de vie. Pour éradiquer le mal et effacer cette insupportable image, Romain décide de retrouver les truands à l’origine de l’embuscade et leur commanditaire. Lui non plus ne dit rien à Margot.
En fouillant dans le passé de Romain, Margot découvre que les membres de la famille Delvès ont une fâcheuse tendance à mourir de mort non naturelle. Une famille nantie, soi-dit en passant : grands hôtels, immeubles haut de gamme, écuries de chevaux de course. Avant d’être assassiné, Paul, le père de romain est le seul à avoir survécu au crash aérien qui emmenait toute la famille en Toscane pour le mariage d’un fils. Crash ou acte malveillant ? Paul ne prenait tout simplement jamais l’avion pour des raisons de santé. Allez savoir pourquoi, Margot acquiert la conviction inébranlable que, puisque tout le clan Delvès a péri de mort violente, Romain connaîtra le même sort. Une raison supplémentaire pour Margot de retrouver l’assassin du père.
Romain et Margot constituent la charnière centrale du roman. Ils peuvent s’appuyer sur une galerie de personnages épatants et touchants. Comme dans ses deux précédents romans, Jacques Bablon ne situe pas son intrigue géographiquement, ni pays ni ville. L’histoire se suffit à elle-même, ce sont les sentiments, les émotions, les réactions des personnages qui lui donnent son tempo, élevé d’ailleurs. Jacques Bablon une nouvelle fois surprend jusque dans le final de cette histoire de dingues à laquelle on croit dur comme fer. Vous pourriez être Romain, vous pourriez être Margot.
A propos, je sais que vous aimeriez avoir des nouvelles des filles : Clem a abandonné le plongeon acrobatique pour la spéléo, Adèle n’élève plus des courtilières mais participe à des courses de karting ; Iza, quand à elle, ne demande rien sauf qu’on ne fête pas son anniversaire. Rien ne dure, je vous l’avais dit.
Nu couché sur fond vert
Jacques Bablon
Éditions Jigal 2017