Pyromane - Wojciech Chmielarz

Publié le par Jean Dewilde

 

Voici un nouveau venu dans l’univers du polar. Nouveau pour nous car il s’agit du premier volume traduit du polonais en français d’une série qui en compte déjà quatre. Le personnage central et récurrent s’appelle Jakub Mortka, dit Le Kub ; il est inspecteur à la criminelle de Varsovie. Un flic brillant, obsédé, teigneux. Vous avez tout le temps pour lire cette première enquête mais sachez que, quand vous l’aurez terminée, vous ne tiendrez plus en place, vous aimeriez vous jeter séance tenante sur les enquêtes suivantes. Un peu de patience, nous retrouverons Mortka en 2018.

Varsovie. Plein hiver, froid polaire. Un homme escalade le toit d’une villa avant de jeter dans le conduit de cheminée un cocktail Molotov. La maison s’embrase, le propriétaire Jan Kameron, un homme d’affaires douteux, y laisse la vie et son épouse, Klaudia Klau, ex-miss Pologne et ex-chanteuse à succès, parvient de toute justesse et bien que très grièvement brûlée à échapper au brasier en sautant du premier étage. C’est sur les lieux du sinistre que nous faisons la connaissance de l’inspecteur Jakub Mortka dit Le Kub. D’emblée, le lecteur décide de le trouver sympathique. Et pourtant, cette rencontre le voit perdre son sang-froid sous forme d’une altercation verbale violente avec le responsable des pompiers, l’aspirant Kowalski. Trois raisons susceptibles d’expliquer son comportement. La première étant que Kowalski lui assène que l’incendie est volontaire ; la deuxième, ce même Kowalski lui dit qu’il s’agit du troisième incendie volontaire dans le quartier et la troisième est qu’il le traite de connard. Ça fait beaucoup, ça fait beaucoup trop ! Le Kub est en rogne en pensant au monceau de paperasse qu’il va devoir se taper, il est furieux d’apprendre que les deux feux de joie précédents n’ont pas fait l’objet d’un rapport aux force de police parce qu’aucune victime n’était à déplorer mais il est surtout en proie à une vive inquiétude, celle de ne pas attraper assez vite un cinglé qui balance des cocktails Mototov dans les cheminées des villas varsoviennes.

Le Kub a divorcé d’avec Ola depuis dix mois. Il est le père de deux garçons en bas âge, Andrzej et Michal, qu’il s’efforce d’emmener deux fois par semaine au cinéma, à la piscine ou à la patinoire. Il peut difficilement les traîner chez lui vu qu’il partage avec un couple d’étudiants un minuscule studio. Une cohabitation rendue difficile par le comportement de Piotr qui fume comme un trou, dégueule dans la baignoire et laisse la vaisselle sale allègrement déborder de l’évier quand elle ne s’entasse pas sur le sol de la kitchenette. Sa copine, Agniewka, fait ce qu’elle peut pour détendre l’atmosphère mais n’y réussit pas vraiment.

Le coéquipier de Mortka est l’inspecteur adjoint Dariusz Kochan. Un excellent policier, presque un ami. Le Kub le soupçonne de battre sa femme et il l’interroge chaque fois qu’il en a l’occasion, se heurtant au déni voire l’hostilité de son collègue.

La profileuse qu’on leur a collée dans les pattes – La chamane comme ils la surnomment – affirme que les pyromanes ne sont pas des assassins. Si quelqu'un meurt, c’est plutôt à la suite d’un mauvais calcul, d’un imprévu, de la manière dont le feu s’est propagé. Sceptique, de mauvaise foi et irrité, Le Kub est contraint de reconnaître que dans le cas des deux premiers foyers les propriétaires étaient absents et pour ce qui est du couple Kameron/Klau, ils étaient supposés passer le weekend end aux thermes et par corollaire n’auraient pas dû être chez eux. L’enquête tarde à produire des résultats significatifs et la pression pèse de plus en plus lourd sur leurs épaules. Comme en témoigne l’explosion de leur chef, le directeur-adjoint, Andrzejewski : Si ça se confirme, la presse va nous tomber dessus. La Direction générale va se jeter sur le chef de la police de Varsovie, et le chef de la police de Varsovie va se jeter sur moi. Et vous savez quoi ? Je vous tomberai dessus, et ça ne va pas vous plaire.

Tout semble se brouiller encore un peu plus quand la légiste informe Le Kub que Jan Kameron n’est pas mort dans l’incendie de sa villa mais d’un coup mortel porté à la tête au moins deux heures avant que le feu soit bouté au bâtiment. Aussi ahurissant que cela puisse paraître, il y a bien eu un meurtrier et un pyromane qui se sont succédé à deux heures d’intervalle, chacun effaçant les traces de l’autre.

Un événement va définitivement faire basculer l’enquête. Deux enfants sont retirés des décombres calcinés d’une villa, toujours dans le même quartier de la capitale polonaise. Le Kub, déjà tendu à l’extrême, n’en peut plus et s’en prend violemment au procureur en charge de l’affaire. C’est du délire ! hurla-t-il à l’adresse du procureur. On marne jour et nuit depuis samedi pour mettre la main sur ce pyromane, on suit chaque piste, et tu viens me faire la leçon ? On t’a vu combien de fois dans l’enquête que tu es censé diriger, hein ? Combien ? Zéro ! Zéro fois ! Tu ne m’as même pas téléphoné ! Et tu sais pourquoi ? Parce qu’un incendie volontaire avec des morts, ce n’est pas assez sexy pour toi, espèce de carriériste !

Au travers de l’inspecteur Jakub Wortka, l’auteur dresse un portrait au vitriol de la société polonaise. Il y a les nantis d’un côté, les délaissés de l’autre. Une société bien malade, cynique, gangrénée par un individualisme effréné. Certes, ceux qui ont les moyens ont réussi mais les autres, tellement plus nombreux ?

Le Kub porte en lui tous les germes de la révolte ; le qualifier d’écorché vif n’est pas excessif. Le lecteur, qui a pris fait et cause pour lui, doit admettre que les reproches et les négligences qui lui sont adressés sont absolument justifiés, ce qui le rend encore plus sympathique puisqu’imparfait. Le lecteur perçoit aussi qu’il y a énormément de peur chez ce policier, peur de ce qu’il voit et encore plus de ce qu’il devine ou suspecte, par exemple, les traces de coup sur les bras ou le visage de le femme de son coéquipier. Il a peur pour ses enfants, il craint pour la vie de son colocataire, redevable d’une dette de jeu à des mafieux locaux. Il s’en veut souvent pour son manque de discernement, sa précipitation. Il n’a aucune indulgence vis-à-vis de lui-même. C’est un flic borderline – la question étant d’observer s’il va franchir cette ligne ou non – qui me rappelle par certains aspects de sa personnalité Harry Bosch chez Michaël Connelly ou Harry Hole chez Jo Nesbø.

Généreux dans tous les sens du terme, intransigeant envers lui-même et les autres, Le Kub trimballe avec lui ses propres contradictions et le fardeau est parfois bien lourd. Qu’il doit être éreintant de vivre avec cet éternel sentiment qu’il aurait pu et dû anticiper les événements. N’est-il alors pas le premier coupable de ce qui se produit ?

Je ne sais pas comment Nadège Agullo a dégoté cet auteur. Chapeau à sa maison d’éditions. C’est pour moi une vraie révélation. C’est traduit du polonais par Erik Veaux qui a fait un travail remarquable car jamais le lecteur ne sent que le roman a été traduit. Bravo à l’auteur, l’éditeur et au traducteur.

 

Pyromane

Wojciech Chmielarz

Traduit du polonais par Erik Veaux

Agullo Éditions 2017

Publié dans Le noir polonais

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V
Mon ami du Nord,<br /> Je suis très tenté par cet auteur, d'autant plus que je suis vierge en matière d'auteurs polonais. Je me fais une petite note pour ne pas l'oublier à l'occasion...<br /> Et quelqu'un qui ressemble à Bosch ou à Hole a décidément tout pour me plaire...<br /> Amitiés...
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