Au scalpel - Sam Millar

Publié le par Jean Dewilde

 

Quatrième volume des aventures du privé Karl Kane dans le nouvel écrin Cadre Noir proposé par les éditions Seuil. Après Les chiens de Belfast http://jackisbackagain.over-blog.com/2015/10/les-chiens-de-belfast-sam-millar.html, Le cannibale de Crumlin Road, http://jackisbackagain.over-blog.com/2016/05/le-cannibale-de-crumlin-road-sam-millar.html et Un sale hiver http://jackisbackagain.over-blog.com/2017/01/un-sale-hiver-sam-millar.html, voici Au scalpel.

S’il peut se lire indépendamment des opus précédents – L’auteur a suffisamment de talent pour cela – je me dois de vous recommander et vivement la lecture des volumes cités plus haut, ils sont tous parus en Poche. Au scalpel marque un tournant dans la vie de Karl Kane car il est confronté à son pire cauchemar, son tourment de toujours incarné par Walter Arnold, l’homme qui a violé et assassiné sa mère avant de le violer à son tour et de le laisser pour mort dans la maison familiale. C’était il y a longtemps, très longtemps. Il fait face aussi à la lente mais irrémédiable dégradation de son père souffrant d’Alzheimer.

Trois histoires naissent au début du livre, sans lien apparent comme c’est toujours le cas chez Sam Millar. Tara, une ado, s’échappe de Blackmore, une institution pour jeunes en difficulté, non sans avoir trucidé l’aumônier en lui plantant dans les yeux des aiguilles à tricoter. Karl, lui, reçoit en pleine nuit un coup de fil paniqué de Lipstick, une jeune prostituée qu’il a pris sous son aile. La jeune femme s’est retranchée dans la salle de bains d’une chambre d’hôtel et supplie Karl de voler à son secours à cause d’un client violent. S’il y a bien une chose que Karl sait faire, c’est voler au secours des autres. En l’occurrence, le client en question, Graham Butler est un des tout gros bonnets de la pègre londonienne. Mais de cela Karl n’en a cure. Et puis, Scarman, mystérieux et inquiétant ; on le devine animé d’une force et d’une détermination absolues et malsaines. La scène le décrit enlevant une petite fille dans la maisonnée familiale endormie avant d’y bouter le feu.

Tout commence relativement bien dans Au scalpel. Karl touche enfin l’argent de la vente de la maison familiale. De quoi payer les factures, le loyer et surtout la maison de repos dans lequel réside son père. Cette manne providentielle est aussi l’occasion pour Naomi de renouveler sa garde-robe.

Mais très vite Karl prend conscience que quelque chose de grave se trame, quelque chose d’intime, quelque chose qui le renvoie très loin en arrière, là où il n’était qu’un gamin terrorisé, impuissant. Le premier indice lui est remis par Sean, le facteur. Ce dernier est le souffre-douleur de Karl. Il met pourtant un point d’honneur à sonner et à remettre le courrier en main propre à la personne qui lui ouvrira. Mais Karl est convaincu que cette démarche louable cache une envie, celle de pouvoir mater le joli petit cul de Naomi. Ce premier indice n’est rien d’autre qu’un vieux sous-bock de bière à l’effigie d’un pub, le Fiddler’s Green Pub. Il suffit à réveiller chez Karl une angoisse qu’il ne peut endormir qu’à l’aide de cachets bleus tout en la dissimulant à Naomi.

Karl l’a bien compris, cet objet on ne peut plus insignifiant est une invitation expresse à renouer avec son passé. Invitation n’est sans doute pas le mot exact quand vous n’avez aucune possibilité de la refuser. Parlons plutôt de confrontation, de l’ultime confrontation avec le monstre, un être dépourvu de sentiment, un homme du nom de Walter Arnold.  

Sam Millar ne fait ni dans la dentelle ni dans le politiquement correct. Chez lui, le mal est brut, absolu, tout puissant. Il témoigne d’une aversion viscérale pour l’autorité, qu’elle soit politique, religieuse, policière ou autre. Selon lui, l’autorité, quelle qu’elle soit, est coupable parce qu’elle profite et abuse des gens qu’elle est par essence supposée protéger. Son privé, Karl Kane incarne la résistance contre toute forme de violence infligée par ceux qui, en raison de leur position sociale ou institutionnelle, pensent avoir quasi droit de vie sur les abandonnés d’un système d’un écœurant parti pris.

Les poches de lumière dans cet opus s’appellent Lipstick, jeune prostituée touchante, Tara, une ado violente complètement cinglée à laquelle sera offerte l’occasion de recouvrer un peu d’humanité voire un sens à sa vie, l’inspecteur de police Chambers que Karl, malgré toute sa mauvaise volonté ne parvient pas à ranger dans la catégorie des flics pourris et ça l’agace ; Theresa et Tommy Naughton, un couple ordinaire, conventionnel, usé par la routine qui perdent dans l’incendie volontaire évoqué plus haut leur fille, leur gendre et leurs deux enfants – un événement extraordinaire leur redonnera un peu d’espoir. Et bien entendu, Naomi, secrétaire, infirmière, amante de Karl sans laquelle il ne serait pas grand-chose.

Les polars de Sam Millar sont formidables car ils sont bouleversants. Et ils me bouleversent parce qu’ils sont trempés dans l’authentique, le vécu. L’auteur a connu personnellement la prison, d’abord en tant qu’activiste de l’IRA et ensuite comme prisonnier de droit commun aux États-Unis après le casse de la Brinks. Il a enduré les brimades, les coups, la torture, les privations et il sait les émotions que génèrent ces traitements : anxiété, angoisse, haine, paranoïa. Tout cela, il réussit à le restituer dans son écriture et c’est l’une des raisons pour lesquelles les aventures de Karl Kane  me séduisent complètement.  

Millar et Kane sont exactement comme cette montre Timex que Naomi offre à Karl et au dos de laquelle est gravé ceci : « Timex, it takes a licking but keeps on ticking. » (Timex, on cogne dessus mais ça continue à marcher.)

 

Au scalpel

Past Darkness

Traduit de l’anglais (Irlande du Nord) par Patrick Raynal

Éditions Seuil 2017

Cadre noir

Publié dans Le noir irlandais

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P
Salut Mon Ami : C'est mon préféré. Et malgré que ce soit une série, on a toujours quelque chose à dire sur les livres de Sam Millar. Pourvu que ça continue longtemps ! Amitiés
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