Le cannibale de Crumlin Road - Sam Millar

Publié le par Jean Dewilde

Le cannibale de Crumlin Road - Sam Millar

Après les chiens de Belfast, http://jackisbackagain.over-blog.com/2015/10/les-chiens-de-belfast-sam-millar.html, voici le deuxième opus des enquêtes du privé Karl Kane, prototype de l’antihéros.

Que celles et ceux qui n’auraient pas (encore) lu Les chiens de Belfast soient rassurés, l’auteur replante le décor. Karl Kane est détective privé, il a une secrétaire, Naomi Kirkpatrick et ces ceux-là forment un tandem proprement irrésistible tant leurs points de vue divergent avec pour conséquence des disputes mémorables. De douze ans plus jeune que Karl, elle l’a rencontré dans un pub où, fortement imbibé, il s’en prenait à un écrivain et était sur le point d’être embarqué pour troubles à l’ordre public. Elle l’avait trouvé pathétiquement amusant et l’avait traîné hors du bar. Deux jours plus tard, elle avait accepté à contrecœur le poste de secrétaire qu’il lui offrait. Elle n’avait dit oui qu’à la condition expresse que soit exclu le moindre batifolage. Il ne fallut pas une semaine pour qu’ils de viennent amants.

Que Karl Kane se bagarre avec un écrivain n’a rien d’étonnant ; en effet, il essaie désespérément de faire publier son propre manuscrit davantage pour assainir ses finances que pour recueillir une hypothétique reconnaissance littéraire. Alors, quand d’autres réussissent là où il échoue lamentablement, ça lui va loin. Et je vous le dis, avec son manuscrit, ce n’est pas gagné ! Karl est fraîchement divorcé, un divorce qui lui coûte la peau des fesses. Naomi a la lourde tâche de tenter de mettre de l’ordre dans le bordel chronique de Karl. La seule chose qu’il trouve toujours et immédiatement, c’est le tube de pommade qui vient soulager ses hémorroïdes douloureuses. Pour le reste…

L’ex-femme de Karl, Lynne n’est autre que la sœur du chef de la police, Mark Wilson. Les relations entre les deux hommes ne sont pas tendues, elles sont gouvernées par une haine quasi viscérale et qui n’a aucun lien avec le divorce de Karl et de Lynne. S’il faut en chercher l’origine, ce n’est pas bien compliqué : la police est corrompue, les politiciens sont véreux et ce qu’il s’est passé dans Les chiens de Belfast en a rajouté une couche.

Pour une fois, je me laisse aller à la facilité en vous livrant une partie de la quatrième de couverture. Dans Belfast qu'épuise une vague de chaleur inhabituelle, le privé Karl Kane affronte un homme qui est un loup pour l'homme, ou plutôt pour de très jeunes femmes. Des junkies, des laissés-pour-compte de la société, dont on retrouve les corps atrocement mutilés : foie et reins ont été prélevés. Initiée par la plainte d'une cliente dont la soeur a disparu, l'enquête prend un tour personnel, et spécialement dramatique, lorsque Katie, la propre fille de Kane, prunelle de ses yeux, est enlevée à son tour. Kane aura d'autant plus de mal à épingler l'homme qu'il soupçonne, Bob Hannah, que celui-ci est un membre estimé de l'establishment.

Je l’avais déjà souligné avec Les chiens de Belfast, l’intrigue est d’une minceur que jalouseraient certains mannequins anorexiques. Et à mon avis, Sam Millar s’en tamponne le coquillard ou s’en vaseline le coccyx (clin d’œil à San Antonio). Pour lui, il y a d’un côté le Bien et de l’autre le Mal et rien au milieu. Le problème, c’est que le Mal élit domicile chez ceux qui sont précisément supposés être les garants du Bien : politiciens, hommes d’affaire, police, avocats, prêtres, tous ceux qui de près ou de loin exercent des responsabilités et prennent des décisions qui touchent le plus grand nombre.

Sam Millar, par l’entremise de Karl Kane, s’est engagé dans une lutte à mort contre l’establishment. Cette croisade serait fort indigeste si Karl Kane n’était pas…Karl Kane. Doté d’un sens de l’humour typiquement irlandais, il a le sens de la repartie affuté à défaut d’être toujours d’à propos. Cela nous vaut des dialogues franchement drôles où l’ironie le dispute au cynisme, notamment avec sa secrétaire Naomi. Kane est un écorché vif, il ne craint pas de prendre des coups et n’a d’ailleurs pas la stature pour s’opposer physiquement à la brutalité et la violence. Il fonctionne à l’adrénaline, a le chic pour se fourrer dans des situations invraisemblables dont il ressort cabossé et à moitié démoli mais s’il y a bien quelqu’un à qui sied à merveille le célèbre aphorisme de Nietzsche selon lequel Ce qui ne me tue pas me rend plus fort, c’est à Karl Kane.

Sam Millar a des comptes à régler, lui qui a séjourné dans les geôles de Long Kesh. A ce titre, je recommande chaudement à toutes et tous son ouvrage autobiographique On the Brinks qui est proprement hallucinant. Sa lecture permet de mieux comprendre Karl Kane qui, à l’image de son créateur, est ulcéré par les injustices de tout poil et les brutalités et exactions commises sur les plus faibles par des hommes dont la position sociale leur garantit la protection tacite des plus hautes sphères du pouvoir.

Je me pose vraiment la question de savoir si Sam Millar/Karl Kane va évoluer. En effet, cette lutte du Bien contre le Mal pourrait lasser le lecteur. Le troisième opus de la série, Un sale hiver vient de sortir et à la lecture de la quatrième de couverture, je crains de retrouver une intrigue différente certes mais toujours centrée sur ce même thème que l’auteur, pour des milliers de bonnes raisons, a encore et encore besoin de développer. Le suivra-t-on ? Rien n’est moins sûr. J’ai lu ci et là que l’écriture pour Sam Millar était un exutoire, une catharsis et c’est sans doute vrai. Cette approche peut se comprendre le temps d’un ou deux romans ; ensuite, il sera plus difficile de le suivre dans cette voie. Cela ne change rien pour moi car, oui, Sam Millar est d’une folle sincérité, il se met carrément à nu devant le lecteur, sa fragilité et sa vulnérabilité sont tangibles. Un mec entier, un type honnête et très modeste, un sacré conteur.

Le cannibale de Crumlin Road

The Dark Place

Traduit de l’anglais (Irlande) par Patrick Raynal

Éditions Points (avril 2016)

Collection Points Policier

Publié dans Le noir irlandais

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S
Jean, many thanks for your kind words and for doing a review of the Karl Kane books. Merci beaucoup.
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C
Je m'y attaque prochainement à ce cannibale...
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J
Bonjour Chloé,<br /> <br /> Je t'en souhaite une excellente lecture. As-tu déjà lu Sam Millar où est-ce ton premier contact avec l'auteur ? Amitiés.
V
Salut l'ami Jean!<br /> De cet auteur, j'ai déjà lu "On the brinks", et "Les chiens de Belfast". Ce "Cannibale" est sur mes étagères, ainsi que le suivant. J'avais été scotché par sa relation de l'univers carcéral en Irlande. Et pour le suivant, j'avais été séduit par le personnage de Karl Kane, et comme tu le dis, par l'immense sincérité de l'auteur. <br /> Je t'en dirai plus lorsque je l'aurai lu...<br /> Amitiés.
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J
Coucou Vincent,<br /> Le personnage de Karl Kane continue de me séduire. Il me fait penser à un autre privé irlandais, un certain Jack Taylor, qui n'hésite jamais à prendre des coups s'il peut un tout petit peu "réparer" les comportements erratiques et ignobles de ses contemporains. J'attends ton avis, ça c'est sûr. Amitiés.
J
Bonsoir l'ami Bob,<br /> Il faut impérativement que tu commences par lire "On the Brinks", titre choisi pour l'édition anglaise et française. Tous ceux qui l'ont lu te diront que c'est un livre phénoménal, surtout dans sa première partie où Sam Millar raconte son séjour à la prison de Maze. Il relate ce qu'il a vécu sans en rajouter et crois-moi, c'est terrible. La deuxième partie, elle, couvre son expérience aux États-Unis où il a purgé une peine de prison pour braquage. Moins terrifiant mais après les geôles de Long Kesh, tout semble un peu plus fade. Prends le temps de lire ce livre-là et on en reparle. Amitiés.
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B
Salut Jean,<br /> Je n'ai pas encore découvert son univers. Il faudra bien que je me lance... Ta conclusion me laisse dans l'expectative. <br /> Amitiés.
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