Notre petit secret - Roz Nay

Publié le par Jean Dewilde

 

« Cela ressemble au début d’une histoire d’amour, inspecteur. Mais nous savons tous les deux que l’histoire ne va pas dans ce sens. Elle va devenir beaucoup plus noire – sinon, pourquoi la raconterais-je dans une salle de commissariat ? »

Si le titre d’un livre est important, je serais enclin à trouver celui-ci au minimum pas terrible. J’ai cherché en vain le titre original devant, derrière, en haut, en bas sans le trouver. En allant sur le site de l’auteure, j’ai vu que le titre anglais était simplement Our Little Secret. Soit.

D’une manière générale, je ne suis pas ou plus un fan de thrillers, je leur préfère le roman noir ou le polar. Mais il m’arrive d’en lire et j’ai dévoré celui-ci. C’est aussi un premier roman, ce qui met toujours ma curiosité en alerte.

L’histoire est un huis clos. Un huis clos qui met en scène deux personnages, d’une part, l’inspecteur J. Novak et de l’autre, Angela, une jeune femme, vingt-six ans, entendue dans le cadre de la disparition de la femme de son ex-petit ami, H. Parker. A dire vrai, nous savons dès les premières pages que l’inspecteur J. Novak est surtout là pour recueillir les aveux d’Angela. Il ne nourrit pas de sympathie particulière à l’égard de la jeune femme mais en bon professionnel, il sait qu’il en va de son intérêt de créer un climat de confiance entre elle et lui.

Angela va débobiner l’histoire, son histoire. Une histoire somme toute banale, des premiers émois de l’adolescence jusqu’à l’âge adulte. Une histoire remplie de petits et grands chocs émotionnels, de frustrations, de déceptions mais rien qui justifie ou même explique sa présence dans cette salle d’interrogatoire sinistre en tant que principale suspecte dans la disparition de Saskia, l’épouse de H.Parker, son ex-petit ami. Plus Angela raconte, plus le lecteur est désorienté. D’un crime, un meurtre en l’occurrence, on imagine qu’il soit ou prémédité et donc préparé ou passionnel. Or, Angela n’a jamais fait montre de sentiments exacerbés : colère noire, dépression profonde, fugues, mutisme, rien de tout ça dans son parcours. Ou est-ce précisément cette absence de réactions extrêmes, ce comportement on ne peut plus normal qui porte en lui les germes  d’un dérapage fatal ? Le lecteur ne sait pas, ne sait plus et s’accroche à la bobine que déroule progressivement Angela, à son rythme, sans à-coups.

Bien sûr, elle a connu le grand amour, en la personne de HP pour Hamish Parker. Pour lui, elle était PJ pour Petitjean. C’était au lycée. Puis elle est partie à Oxford, à l’université, répondant en cela aux attentes de son père qui a toujours voulu gommer ses propres échecs au travers de la réussite de sa fille. Elle n’a pas su lui dire non. PJ, appelons-la ainsi, tombe sous le charme so british de la cité universitaire à mille lieues de l’étroitesse intellectuelle de son lycée de Cove dans le Vermont. « Ce jour-là, pour la première fois, j’ai passé une porte qui s’ouvrait dans une porte. Les entrées de tous les collèges sont d’immenses portes de bois qui restent toujours fermées, mais dans lesquelles s’ouvrent des petites portes, qui ferment à clé, des clés de fer du Moyen Âge. » Ce séjour à Oxford marque un tournant dans sa vie pour plusieurs raisons : elle y fait la connaissance de Freddy Montgomery, un étudiant brillant promis à un très bel avenir – ce sera le cas, d’ailleurs – mais surtout elle rencontre Saskia. Ce sont les circonstances de leur rencontre qui sont particulières. HP est venu passer quinze jours à Oxford pour retrouver PJ. Et lors d’une des très nombreuses fêtes qui émaillent la cité oxonienne, elle ne peut pas ne pas voir la complicité naissante entre HP et Saskia.

Quelques mois ont passé. Nous sommes de retour dans le Vermont. HP a invité Saskia à passer tout l’été chez lui au grand dam de la mère de PJ, quasi obsédée par la réussite sociale de sa fille, pas comme une mère bienveillante qui veut le meilleur pour son enfant mais comme si à travers sa fille, elle pouvait gommer un mariage raté et une vie de femme au foyer médiocre, passant son temps à éplucher des haricots pendant que son mari étudiait le grec ancien.

Saskia partira étudier un an en Australie non sans offrir à HP, à l’occasion de son pot de départ, un billet d’avion pour venir la rejoindre. Ils se marieront d’ailleurs là-bas ; nouvelle garden party pour célébrer leur retour ; Incidemment, mais le hasard joue-t-il encore un rôle, PJ apprend que Saskia est enceinte.

Si vous m’avez suivi jusqu’ici, vous vous demandez ce que j’ai bien pu trouver à ce qui pourrait ressembler au journal d’une ado mal dans sa peau et qui aurait endossé un costume d’adulte qui ne lui va pas du tout. Tout d’abord, il ne s’agit pas d’un journal mais de propos tenus dans une salle d’interrogatoire austère avec une unique fenêtre oblongue et opaque comme seul éclairage extérieur. Un interrogatoire qui s’étale sur deux jours, deux journées intenses, tendues, interminables. L’inspecteur J. Novak est là pour cadrer la jeune femme et lui faire avouer le meurtre de Saskia, cette fille à qui tout réussissait et qui lui avait ravi définitivement son premier grand amour. Mais peut-on en arriver à commettre un acte d’une telle violence rien que pour ça ? Non. A ce compte-là, nous pourrions tous figurer simultanément sur la liste des assassins et des victimes. Il faut donc poser le regard dans les interstices, dans les anfractuosités et les fêlures dont sont constituées nos existences, Notre Petit Secret qui en compte bien sûr d’innombrables, ceux que nous partageons, ceux que nous nous racontons, ceux que nous taisons.

J’ai lu en diagonale pas mal d’avis sur ce premier roman de Roz Nay. Il y est souvent question d’un triangle amoureux. S’il existe bien, ce triangle PJ-HP-Saskia m’apparaît réducteur car à moins de n’y avoir rien compris, il me semble que les personnes qui évoluent à la périphérie de ce triangle pèsent de tout leur poids et de toute leur influence néfaste sur ce qui se termine par un drame et j’en suis encore à me demander qui sont en bout de course les vrais coupables.

Une des grandes qualités de ce suspense hautement psychologique est l’écriture impeccable, tantôt directe, le plus souvent tout en nuances. On sent que l’autrice s’est incarnée dans ses principaux personnages. Il n’y a rien de plus difficile que de restituer les mille et une facettes des émotions qui nous gouvernent et Roz Nay excelle dans cet exercice. Les pages sur Oxford où elle a étudié sont splendides.

Notre petit secret a été récompensé par le prix Douglas Kennedy du meilleur thriller étranger 2017. Je vous propose un lien qui vous renvoie à la remise des prix VSD 2017 dans lequel Douglas Kennedy explique les raisons de son choix. http://www.vsd.fr/loisirs/litterature-le-prix-du-thriller-vsd-2017-vu-par-douglas-kennedy-21165.

 

Notre petit secret

Our Little Secret

Roz Nay

Traduit de l’anglais par Vincent Guilluy

Éditions Hugo Roman

Collection Hugo Thriller

Publié dans Le noir anglais

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