La métamorphose (Le monde selon Cobus Livre III) – Pascal Martin – Éditions Jigal (septembre 2019)

Publié le par Jean Dewilde

 

La métamorphose clôt une trilogie entamée avec Du danger de perdre patience en faisant son plein d'essence (Le monde selon Cobus Livre I), suivie de Bienvenue dans le Bronx (Le monde selon Cobus, Livre II). Les deux premiers volets ont paru chez Robert Laffont, respectivement en 2015 et 2016. Grâce aux éditions Jigal et son fer de lance Jimmy Gallier – en réalité le fer et la lance - nous avons l’occasion de faire la connaissance de cet étonnant personnage qu’est Victor Cobus dans ce troisième et dernier opus.

Certes, il s’agit du troisième et dernier volet et se pose toujours l’éternelle question : ne vaut-il pas mieux avoir lu les deux tomes précédents ? A titre personnel, il m’a semblé connaître Victor Cobus depuis toujours et je n’ai à aucun moment souffert de démarrer avec ce troisième opus. Je vous l’avoue, j’en ressors avec la folle envie d’acquérir les deux premiers volumes.

Cobus, ancien trader cousu d’or clochardisé après un séjour à Fleury-Mérogis, est sur le point de sortir de la galère après avoir transformé le squat dans lequel il vit en une entreprise de fast-food haut de gamme, « Le Monde de Juju », cuisine labellisée « tradition française ». Afin d’être à l’abri de la convoitise d’un groupe de promoteurs véreux qui s’est acheté les services d’un caïd sanguinaire, d’un fasciste patenté et d'un flic ripou, Cobus souhaite que la mairie préempte le bâtiment qui abrite son petit business. Mais un soir, le squat est ravagé par un incendie criminel dans lequel la vieille cuisinière qui était à la fois l’âme et la cheville ouvrière du « Monde de Juju » trouve la mort. Cobus, écœuré est sur le point de renoncer lorsque Madu, son jeune associé malien de quinze ans est à son tour victime d’une violente agression. Alors que rien ne le prédisposait à ce genre d’exploit, Cobus va, en une seule nuit, bouleverser la donne et combattre le mal par le mal … Mais va-t-il pour autant gagner la partie ?

Pascal Martin a du génie et un sens consommé de la mise en scène. Où a-t-il donc été chercher cette histoire au scénario improbable avec des personnages qui le sont tout autant ? Il est vraiment très fort. Il étire au maximum les limites du vraisemblable en ayant toujours à l’esprit la crédibilité du scénario. En écrivant ces mots, je me dis que c’est peut-être cela être romancier. Explorer les limites, sortir franchement des clous  pour créer un univers singulier. Objectif mille fois atteint.

Le registre est celui de la comédie dramatique, le lecteur passe du rire aux larmes ou l’inverse sans transition. L’incendie volontaire qui coûte la vie à Juju, la vieille cuisinière black et à Kodesh, peintre excentrique alcoolisé est un acte d’une cruauté indicible. Aucune chance pour l’un comme pour l’autre d’en réchapper. Pire, selon le témoignage d’un pompier, le peintre aurait été ligoté sur sa chaise. Mais deux pages plus loin, on rigole un bon coup quand, à l’enterrement de Juju et Kodesh, un ami artiste du peintre dépose un poème au pied du cercueil « Que mes vers t’accompagnent dans ta dernière demeure ».

Ils sont nombreux à vouloir voir déguerpir les occupants du squat du Mali et peu importent les moyens. Les salopards sont à l’affût. Mais Le monde selon Cobus possède ses propres règles, la morale en est absente et la loi du talion est en vigueur.

Étrange et fascinant personnage que ce Victor Cobus. Ancien trader reconverti, il écrit également des romans policiers sous le nom de Jack Wallace. Entre autres titres, Ovaires-sur-Noise, La tarentule de Veaulx-en-Venin ou La verge du cheval blanc. Il a une liaison avec Patricia, la secrétaire de son éditeur qui déteste Jack Wallace et voit en Victor Cobus une réincarnation de Balzac. Je vous l’ai dit, on s’amuse mais le lecteur pressent que le drame peut survenir à tout instant et est sur ses gardes. Il est impossible de ne pas voir dans Le monde selon Cobus une métaphore de notre monde où le mépris et le cynisme le disputent à la cruauté et l’indifférence.

La métamorphose ne se résume pas à une lutte entre le Bien et Le Mal et c’est évidemment entre ces deux extrêmes qu’interviennent des personnages beaucoup plus nuancés comme Marie, la sœur de Victor, qui  avoue à son frère qu’il lui fait peur dans un dialogue d’une grande justesse et d’une terrible lucidité. Madu, le jeune Malien de quinze ans, associé de Victor, est d’un optimisme décoiffant. Il survole les obstacles, a sans cesse de nouvelles idées et cette insouciance propre à son âge qui lui fait soulever des montagnes. Serfaty, l’avocat de Victor, un personnage facétieux et truculent, à l’imagination débordante. Il va là où le vent le porte mais comprend vite dans quel camp se ranger. Elvis Van Beveren, ancien surveillant personnel de Victor Cobus à Fleury-Mérogis et perceur de coffres-forts.

Pascal Martin, c’est toujours un mélange de farce et de drame, un mélange qui prend le lecteur à contre-pied et qui fait s’envoler ses certitudes. Les chevaliers blancs n’existent pas et les salauds ne le sont pas tout à fait. En réalité, l’auteur aime nous montrer des personnages abîmés, à la marge ou excentriques, des gens de condition et d’esprit modestes, des imparfaits. Les modèles ne l’intéressent pas.

Ce que j’aime aussi chez l’auteur, c’est le rythme qu’il imprime à ses intrigues ; c’est nerveux, endiablé, priorité est donnée à l’action et à la façon dont les personnages réagissent. Ils sont toujours en réaction par rapport à des événements qu’ils n’ont pas déclenchés. L’humour est potache, ironique, parfois caustique. S’il se moque de certains des personnages qu’il met en scène, il leur témoigne toujours de la tendresse et de la bienveillance.

Les romans de Pascal Martin sont stimulants parce qu’ils nous touchent. Et c’est, je pense, un des objectifs des livres, donner des émotions à ceux qui les lisent.

Déjà chroniqués sur ce blog, La reine noire et L’affaire Perceval.

http://jackisbackagain.over-blog.com/2017/10/la-reine-noire-pascal-martin.html

http://jackisbackagain.over-blog.com/2019/06/l-affaire-perceval-pascal-martin-editions-jigal-2019.html

 

La métamorphose (Le monde selon Cobus, livre III)

Pascal Martin

Éditions Jigal (septembre 2019)

 

Publié dans Le noir français

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