Storyteller - James Siegel
En matière de lecture, il vaut toujours mieux privilégier la curiosité et laisser le scepticisme de côté. Quand j’ai lu que James Siegel était directeur de la création et administrateur de BBDO, une des plus grosses agences de publicité américaines, J’ai bien failli ranger le livre dans l’étagère d’où je l’avais sorti quelques minutes auparavant. C’eût été une erreur dont je n’ai pas à me faire pardonner puisque cette petite hésitation n’aura duré que quelques nanosecondes. Qu’est-ce que j’ai aimé ce Storyteller, passionnant de bout en bout !
« J’étais destiné à raconter l’histoire que personne ne devait jamais raconter. » Telle est la phrase sur la magnifique couverture prononcée par Tom Valle, personnage central du roman. Qui est-il ? Journaliste dans un grand quotidien new-yorkais, Tom Valle est licencié. Il est brillant et a su gagner l’estime et l’amitié du grand patron. Un mensonge peut en entraîner un autre, c’est bien connu. Et le mensonge commence quand il n’entend pas son réveil et qu’il lui est impossible d’attraper son avion pour faire un reportage à l’autre bout des States. Mais ça passe, ça passe même très bien, son reportage inventé de toutes pièces est accueilli avec enthousiasme. Dès lors, pourquoi ne pas refaire le coup, une fois, deux fois, trois fois… ? Vous connaissez ce proverbe : Tant va la cruche à l’eau qu’à la fin elle se casse. Une plainte arrive sur le bureau du Big Boss qui après enquête découvre le pot aux roses. Viré le Tom. Il trouve refuge dans une toute petite ville de Californie, Littleton et bosse désormais pour le canard local, le Littleton Journal. Tout le monde ou quasi connaît son passé journalistique sulfureux.
Désormais, il couvre des événements tels que l’inauguration d’une grande surface, le centenaire d’une résidente de la maison de repos, l’élevage de lamas,…Passionnant, n’est-ce pas ? Mais un jour un accident vient chatouiller son flair resté intact. Deux voitures se sont télescopées sur une route absolument déserte, l’un des conducteurs est mort carbonisé. La version officielle conclut que la personne décédée aurait brutalement franchi la ligne blanche. Plausible, non ? Pas pour Tom Valle. A partir de ce moment, sa vie va définitivement basculer.
Vous vous dites : « c’est vachement maigre comme intrigue ». Je peux vous assurer que l’histoire concoctée par l’auteur est terrifiante et qu’elle m’a transporté loin, très loin. Tom Valle est un mec attachant, il a beau être un menteur patenté, rien n’y fait, je me suis très vite lié d’amitié pour lui. Intelligent, tenace et obstiné, il passe par la fenêtre quand on lui claque la porte au nez. Menteur sans aucun doute, mythomane sûrement pas. Il sait ce qu’investiguer veut dire et certaines personnes ne souhaitent pas qu’il investigue ; ainsi, vous ferez très vite la connaissance d’un plombier, un drôle de plombier, pas celui dont on a toujours besoin. Je vous livre cet extrait qui dévoile tout le talent de l’auteur.
« Je louais la maison où j’habitais.
Quand je rentrai chez moi, un plombier était en train de s’occuper de mon chauffe-eau.
Il était au sous-sol, en train de taper avec une espèce d’outil.
Je n’avais pas appelé de plombier.
Quand je l’en informai, il me dit que ça devait être le propriétaire.
Je ne m’étais pas plaint au propriétaire.
Mon eau chaude était chaude. Il n’y avait aucun problème avec le chauffe-eau.
Il me dit alors que ce n’était qu’un entretien de routine.
Et pendant ce temps, il gardait le sourire. Comme si nous menions une conversation légère lors d’une soirée.
Cela me mit mal à l’aise. Ça, et le fait de me rendre progressivement compte que lui et moi étions seuls au sous-sol : un endroit sombre, souterrain, où l’on descend à ses risques et périls – comme chaque gamin le sait. »
Camper une scène en quelques phrases courtes, y instiller une atmosphère inquiétante, angoissante, ce n’est là qu’une facette du savoir-faire de Siegel. Tom Valle creuse, excave, pellette, exhume, déterre. De la pêche à la mouche, il va rapidement passer à la pêche au gros. Le nauséabond qu’il met au jour est annihilé par son désormais manque total de crédibilité. Dès lors, pourquoi tant de monde déploie tant d’efforts pour le faire taire ? Je ne vous en dirai pas plus.
Pour qu’un bouquin me fasse chavirer, il me faut de l’émotion et si, par bonheur, j’apprends en lisant, je suis comblé. J’ai été profondément ému et j’ai beaucoup appris. Des événements inconcevables dont je n’avais jamais entendu parler. Je suis curieux. Après ma lecture, j’ai tapé dans mon moteur de recherche deux mots : Tatarskaïa Karabolka et Tcheliabinsk. Ahurissant, sidérant, bon sang, ça fout les boules ! Je vous encourage à être curieux, vous aussi, mais après avoir lu ce formidable roman noir.
Si j’étais plus nanti, je vous assure que je vous enverrais à chacun un exemplaire pour que vous l’ayez à portée de main. Mais nanti, je ne suis point. Il vous en coûtera environ 8 euros, puisque Storyteller est publié chez Pockett.
Storyteller
James Siegel
Excellemment traduit de l’anglais (États-Unis) par Simon Baril
Pockett (14 février 2013)
477 pages